Dans un entretien avec deux activistes politiques tunisiens 'de passage à Paris' paru sur son blog sur Mediapart Jean-Pierre Anselme estime que 'les libertés publiques et la démocratie [en Tunisie] chèrement acquises par la révolution sont en péril.' Malheureusement il tombe profondément dans le piège de l’Orientalisme en décrivant une Tunisie du point de vue de l'Europe - voire par la bourgeoisie tunisienne occidentalisée. Non seulement les - soi-disant - faits sont faux à plusieurs reprises, mais - plus gravement - il donne une image de la Tunisie qui s'accorde peu avec la réalité vécue dans ce pays et par la majorité de ses citoyens.
Commençons très vite par les faits erronés. Les 'quatre cents salafistes [qui auraient] dévasté et incendié un hôtel, à Jendouba' étaient plutôt deux cents. L'application de la charia [sic!] 'dans la même province' n'a pas mené a l'amputation de 'la main d'un jeune homme,' mais seulement à une telle tentative. Ces incidents sont certes graves mais en les exagérant Anselme ne contribue pas à une discussion sérieuse sur les dangers et la réalité du mouvement salafiste ainsi que sur l'importance croissante de l'Islam en Tunisie.
Voici pour ces raccourcis intellectuels et erreur idéologiques - orientaliste je dirais vu qu'il n'arrive pas à voir les développements politiques en Tunisie autrement que par un prisme exclusivement français, européen voire occidental. Ennahdha pour lui est un parti 'modéré' entre guillemets seulement qui s'attaque à '« l'état civil », (le nom donné à la laïcité par les démocrates tunisiens).' Je me demande pourquoi le parti vainqueur des premières élections démocratiques de la Tunisie depuis des décennies ne fait pas partie des démocrates tunisiens. Les démocrates sont-ils seulement les laïques - c'est à dire ceux qui partagent avec l'auteur sa conception de l'État? De plus je doute qu'Anselme réalise à quel point l’existant état civil est déjà imprégné par l'Islam et à quel point la minorité qui défend un État laïque en Tunisie est faible. Aucun parti majeur ne remet en cause l'importance de l'Islam pour le pays et son État, dont la référence est depuis l'indépendance inscrite dans le premier article de sa constitution. L'affirmation de Jebali 'que « l'islam est la religion de l'État, avec tout ce que cela implique »' à laquelle Anselme s'attaque n'est donc rien qu'un constat des faits.
Suite à cette introduction de l'auteur vient son entretien avec deux activistes politiques de gauche. Il relaie à plusieurs reprises des positions peu fondées voire fausses de la gauche intellectuelle et extrêmement minoritaire en Tunisie. Entre autres il n'est pas vrai que le 'gouvernement Ennahdha se tait sur les violences salafistes en Tunisie' (lien). Ces activistes des partis ayant perdu des élections ont-ils des preuves quand ils affirment que le parti islamique a gagné des élections par l’achat des voix?
Anselme demande à ses deux interlocuteurs comment ils expliquent 'cette suprématie des islamistes
dans un pays comme la Tunisie qui s'était jusqu'ici démarqué du reste
du Maghreb sur la place de la religion dans la société.' On s'étonne qu'un militant d'une 'révolution démocratique et sociale' ne vois pas la réalité cruelle. La Tunisie au 20ème siècle n'a été rien d'autre qu'un pays gouverné dictatorialement d'en haut, d'abord par la France puis par une élite francophone peu liée à une majorité de la Tunisie moins éduquée, plus religieuse et plus arabe (dans le sens moins occidentalisée) qu'elle. La suprématie des islamistes n'est en rien surprenant en fait, ils avaient sans doute déjà gagné des élections de 1989 (lien), et l'importance de la religion en Tunisie est prépondérant pour tout visiteur du parti qui ne se restreint pas aux hôtels touristiques ou la banlieue huppé de Tunis.
Cet article/entretien ne fait rien qu'affirmer une image partielle et fausse d'un pays dans une transition démocratique évidemment extrêmement difficile et fragile. Il pâtit d'un prisme orientaliste du Maghreb en Europe qui a dans le passé mené au soutien de régimes dictatoriaux et qui aujourd'hui amplifie dans les médias européens des voix occidentalisées mais peu représentatives de leur propre pays. C'est moins du journalisme que Mediapart et Anselme font ici que de l'activisme idéologique et politique soit en tombant dans le piège de l'élite tunisienne soit par leur propre volonté.
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